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Yu-Ichi Inoue : La calligraphie libérée, ou du mot naîtra une chair dansante

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Même sans connaissances en japonais, en chinois ou en calligraphie, on est subjugué par les œuvres de Yu-Ichi Inoue, exposées cet été à la Maison de la Culture du Japon. Magie de l'art, vecteur d'universalité !

L’écriture est une arme de rébellion singulière, sa boursouflure est une libération

En toute chose, mais surtout dans l’art, rien n’est plus délicieux que de briser les codes. Et la calligraphie traditionnelle, exécutée selon des codes très stricts, avec beaucoup de technique et de précision, est ici littéralement « performée » avec un pinceau gigantesque. Debout, plié en deux sur une feuille étalée à même le sol, calée avec des pierres, le tout petit homme trace des traits épais et profonds, dans une forme de transe mystique sereine et appliquée. C’est son cœur qui parle par ce pinceau de Gulliver, qui bat entre ses appuis et ses envols, à la démesure de l’amour dont il est gorgé. C’est la vie qui coule dans cette encre d'un noir profond, luisant, souple. Le jupon du pinceau danse avec un aplomb joyeux, l’homme sourit dans l’effort. Et nous spectateurs, de l’autre côté de l’horizon, recevons cette vitalité, cette sage puissance avec gratitude. La sobriété des traits nous apaise. Leur force nous ressource. Leur discrète fantaisie nous émeut. C'est la vie elle-même qui éclabousse le papier blanc, le mouvement des caractères qui ranime un rapport simple à l’art – papier blanc, encre noire, un mot, un concept, le sens profond des choses présent en chaque élément fondamental qui compose l’œuvre.

On apprend en lisant les panneaux (toujours pertinents) que Yu-Ichi Inoue, dans certaines œuvres composées de textes entiers, mêle le chinois classique et le japonais parlé, libérant ainsi les émotions de toute entrave linguistique au profit de l’expression personnelle, faite de chair et de souffle. C'est notamment le cas dans le récit d'un drame horrible auquel a assisté l'artiste. 

La calligraphie, vecteur artistique de sobriété, de pauvreté, de frugalité

Yu-Ichi Inoue se disait « rongé par le démon de la calligraphie jusqu’aux os ». A travers ses œuvres apparemment simples, en tout cas concentrées sur l'essentiel, il matérialise un mode de vie, une façon d'être au monde qu'il pratiquait au quotidien. Instituteur de métier, tout son temps et son argent libres étaient consacrés à son art, qu'il a toujours refusé de professionnaliser. Il vivait pauvrement, et son art est sobre. Fidèle reflet de sa propre vie, sa calligraphie ressemble à une expérience mystique proche de l’ascétisme. Et pour les visiteurs non initiés à ces langues, c'en est une aussi que d’être portés par une écriture dont on ne connaît rien. En particulier ses caractères seuls transforment la calligraphie en peinture, l'écriture et ses concepts en sujets d'art. A la fin de sa vie, on dit qu’il aurait « atteint un univers profond et infiniment pur ». 

La recherche d’une expression véritable, universelle

Yu-Ichi Inoue crée des séries de caractères uniques, qui parfois se ressemblent peu d’un bout à l’autre. Il leur donne ainsi une vie et une énergie propres, dessinant des mots qui se mettent à vivre par eux-mêmes et deviennent non seulement objets mais sujets d’art. Ils nous parlent de l’artiste, de sa vie, de son époque. Et que disent-ils de la nôtre dont l’écriture manuscrite recule de plus en plus loin devant les écrans ? Que perdons-nous de notre expression en rendant la graphie obsolète ? Est-ce une connexion que nous perdons entre le corps et les mots ? Est-ce que les mots sont moins charnus quand ils sont tapés sur un clavier ? Est-ce qu’on y laisse une part de sensualité de notre langage ? La littérature s'en ressent-elle ?

Imagine-t-on une lettre d’amour issue d’un traitement de texte ? Une manifestation avec des pancartes tapuscrites ? Que deviennent la haine et l’amour une fois moulinés par un système binaire ? Et que deviendrait cette science inexacte et merveilleusement poétique qu'est la graphologie ?

Bref. Vous l’aurez compris, cette exposition est un moment de beauté mystique, autant que d’émotions très humaines et de questions plus ou moins évanescentes, sur nous, notre avenir, notre Société. Une expérience inédite donc et même – allez on l’ose – Inouïe !

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Exposition - Du 14 juillet au 15 septembre 2018
YU-ICHI INOUE
井上有一 1916-1985-書の解放-
1916-1985 LA CALLIGRAPHIE LIBÉRÉE

Maison de la culture du Japon à Paris (MCJP)
101 bis, quai Branly
75015 Paris

Pour en savoir plus

En toute chose, mais surtout dans l’art, rien n’est plus délicieux que de briser les codes.

La sobriété des traits nous apaise. Leur force nous ressource. Leur discrète fantaisie nous émeut.

Fidèle reflet de sa propre vie, sa calligraphie ressemble à une expérience mystique proche de l’ascétisme.

Est-ce que les mots sont moins charnus quand ils sont tapés sur un clavier ?

Inouïe !